Quel est le rôle de l’Usager dans la Rénovation Energétique ?

Cette nouvelle émission mensuelle « Rénov’actions Energétiques », réalisée en partenariat avec le Mastère « Immobilier Bâtiment Durable, transition carbone et numérique de l’Ecole des Ponts ParisTech », étudie la mise en œuvre de la Rénovation Energétique au travers de tous les maillons de la chaine de valeur de la filière immobilier et bâtiment. Chaque mois, le thème développé durant la semaine de cours du Mastère sera exploré en simultané avec des intervenants proposant leur analyse et leur vision. Pour cette 3ème émission, deux spécialistes vont répondre à la question suivante : Quel est le rôle de l’Usager dans la Rénovation Energétique ?

Philippe Alluin, est ingénieur-architecte, maître d’oeuvre, enseignant et chercheur. Il a créé ReeZOME en 2009, Réseau d’Ingénieries pour l’Architecture et le Développement Durable, cette structure est engagée depuis 2011 dans les missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage des rénovations énergétiques, et plus particulièrement pour les immeubles en copropriété présentant une valeur patrimoniale. Il intervient dans le Mastère au cours de la semaine consacré à l’accompagnement du changement.

Philippe Alluin manifeste un intérêt marqué pour la copropriété due à l’abondance des immeubles datant des Trente Glorieuses, souvent énergivores et nécessitant des rénovations tant énergétiques que patrimoniales. Face à un manque d’entretien et des matériaux en fin de vie, il souligne l’importance de préserver et d’améliorer l’architecture de ces bâtiments, valorisant ainsi certaines qualités d’usage. L’implication variée des copropriétaires enrichit les interactions entre usagers et professionnels. Cependant, les copropriétés accusent un retard significatif dans la rénovation énergétique, principalement dû à un cadre juridique contraignant, une gouvernance complexe nécessitant un consensus, des aides mal adaptées au secteur, et une défiance générale envers les professionnels. Ce retard est également alimenté par une faible culture de l’entretien et un désintérêt pour les enjeux communs. Malgré ces défis, Philippe Alluin démontre à travers les projets de ReeZOME que des rénovations énergétiques ambitieuses sont réalisables en copropriété. Il prône une approche personnalisée, construisant le programme de rénovation à partir des spécificités des habitants et du bâtiment. Cette méthodologie permet d’intégrer de manière holistique les aspects énergétiques, techniques, financiers, juridiques et humains. Il constate la faible présence et la préparation insuffisante des professionnels sur ce marché, attribuée à une formation inadéquate et à une vision obsolète de la maîtrise d’œuvre. Il appelle à une refonte des pratiques, favorisant le consensus et la co-conception, et insiste sur l’importance d’une approche transdisciplinaire et transparente pour surmonter l’isolement des savoirs et encourager la collaboration entre les spécialistes et les usagers dans le processus de rénovation.

Pascal Lenormand, est ingénieur Designer énergétique® et dirige Incub’, un « collectif de hackers énergétiques » d’ampleur nationale implanté en Creuse, spécialisé dans la sobriété énergétique et l’assistance à maîtrise d’ouvrage. Il intervient plus spécifiquement auprès des collectivités, des industriels et des acteurs culturels.

Pascal est également un expert reconnu en rénovation énergétique des bâtiments patrimoniaux et collabore régulièrement avec des industriels de renom. Il a écrit « Le design énergétique des bâtiments » aux éditions AFNOR et « Chauffez la messe ou chauffez les fesses » chez Lulu éditions. Il a aussi contribué à « Communes frugales », un ouvrage collectif pour une approche frugale, heureuse et créative de la construction de de l’urbanisme. Il intervient dans le Mastère au cours de la semaine consacré à l’accompagnement du changement et êtes également formateur, conférencier et un influenceur reconnu sur LinkedIn, où ses posts souvent iconoclastes rencontrent un large public.

Pascal Lenormand souligne que l’usage des bâtiments est devenu central dans les discussions sur l’efficacité énergétique car les outils conçus dans les années 1970 ne prenaient pas en compte les usages réels. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’aspect pratique des bâtiments a été largement négligé, une situation exacerbée par les récentes injonctions de sobriété énergétique depuis l’été 2022, réintroduisant ce sujet peu maîtrisé. Concernant l’approche actuelle du secteur du bâtiment sur l’usage, il met en avant la mauvaise compréhension du problème, notant l’absence d’outils adaptés pour gérer les enjeux pratiques et l’inefficacité des approches traditionnelles axées sur l’efficacité technique, qui ne conviennent pas pour aborder les vrais besoins des usagers. Selon lui, les acteurs traditionnels du bâtiment sont les moins aptes à gérer ces questions.

Il pointe également une mauvaise formulation du problème de la consommation énergétique, arguant qu’il est incohérent de l’aborder uniquement sous l’angle énergétique du bâtiment. Cette approche omet de définir les services que les bâtiments doivent réellement fournir, comme le confort, et ignore les possibilités de réduire la consommation énergétique liées au non-usage. Les principaux obstacles identifiés incluent la croyance erronée que les professionnels du bâtiment sont les mieux placés pour identifier et exploiter les gisements de sobriété énergétique. De plus, il souligne l’injonction généralisée à réaliser des travaux, souvent limités à l’isolation et à l’étanchéification, sans évaluer leur efficacité réelle. Il constate également le manque de compétences pratiques sur le terrain et un « illettrisme énergétique » généralisé qui empêche une gestion efficace et exigeante des projets énergétiques. Pour avancer, Pascal Lenormand préconise de reconsidérer la nécessité de massifier les rénovations énergétiques standardisées, en se concentrant plutôt sur la réduction réelle des consommations énergétiques. Il suggère d’exploiter les gisements d’économie qui peuvent être réalisés simplement en optimisant l’existant, illustrant son point par un exemple de gaspillage énergétique dans un bâtiment parisien célèbre. En résumé, il appelle à une réévaluation critique et pragmatique de nos approches actuelles de la rénovation énergétique.

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