Si le secteur de la construction est extrêmement gourmand en ressources et en énergie, qu’il le reste n’est pas une fatalité. Levier puissant de décarbonation, le réemploi des matériaux de construction se fraie un chemin dans les pratiques du BTP, quelles sont les forces et faiblesses de cet écosystème ?
De quoi parle-t-on ?
Alternative au recyclage et à la réutilisation des matériaux, le concept du réemploi paraît simple : prendre les matériaux de bâtiments en déconstruction et les réemployer sur d’autres chantiers. En théorie donc tous les matériaux sont réemployables : des luminaires aux chaudières en passant par les isolants et le parquet. En pratique, de nombreuses étapes sont nécessaires pour que les matériaux passent d’un chantier à l’autre : déconstruction sélective, revalorisation, stockage, remise en œuvre et démarches d’assurabilité. Ces étapes expliquent que le prix des matériaux réemployés ne soit pas moins élevé que les matériaux traditionnels : acheter des matériaux neufs est plus simple et parfois moins cher, mais c’est l’impact environnemental qui doit être mis en valeur, non l’attrait économique.
Si le changement n’est pas important sur le plan économique, il l’est du point de vue conceptuel. En effet, massifier le réemploi implique un changement total de paradigme dans notre façon de concevoir un bâtiment et sa construction : il s’agit de considérer le bâtiment comme réversible. Un vieux bâtiment ne devient plus un déchet mais un vivier de ressources pour de nouveaux chantiers. Redonner une seconde vie à toutes ces ressources, c’est entretenir une logique circulaire qui, pour l’instant, est peu présente dans le secteur de la construction.
Ce profond changement aura également lieu dans le planning de construction : construire avec des matériaux réemployés, c’est faire, en premier lieu, le diagnostic des ressources existantes. Cela implique de travailler dès le départ avec les matériaux existants, dès le design du bâtiment et de ses caractéristiques. Cela requiert plus de flexibilité dans l’agenda de construction, avec des stocks de matériaux à réemployer pouvant varier dans le temps et selon les régions.
Qui sont les acteurs ?
Bien que le concept du réemploi dans la construction ne soit pas récent, l’industrialisation de cet écosystème l’est, cela laisse donc la porte ouverte à plusieurs types d’acteurs :
Plusieurs industriels précurseurs ont fait le pari de l’hyperspécialisation, comme Moebius Réemploi, qui a choisi de créer une filière de réemploi de faux parquets au niveau national. Cette spécialisation permet d’acquérir un savoir-faire reconnu et de convaincre les assurances de la qualité des produits.
- Des plateformes d’échange comme Cycle Up ou Backacia ont émergé ces dernières années, permettant de rendre plus accessible le réemploi. Elles incarnent un réemploi plus local, mais la problématique ici est celle du stockage et de l’assurabilité des matériaux.
- Les architectes et bureaux d’études ont un grand rôle à jouer dans le développement de construction en matériaux issus du réemploi, ils ont un grand pouvoir décisionnel à l’échelle du bâtiment et s’engagent de plus en plus dans cette aventure.
- Les collectivités territoriales sont nombreuses à être engagées pour le réemploi et facilitent son utilisation dans les chantiers publics. Elles deviennent des moteurs de la transition dans le secteur du bâtiment.
Quels sont les grands enjeux ?
Concernant les enjeux, le premier paraît redondant avec de nombreux autres aspects de la transition écologique : changer les mentalités. Comme dit précédemment, la massification du réemploi de matériaux de construction implique des diagnostics poussés des ressources disponibles sur chaque bâtiment en déconstruction, et donc amène le concept de « limite » dans le secteur du BTP. Il faudra construire avec les matériaux, non concevoir un bâtiment hors sol avant de se mettre à la recherche de ressources pour lui donner vie. Repenser l’agenda de construction, la fin de vie des matériaux et des bâtiments, voici un défi majeur à relever pour le réemploi.
Du côté des pouvoirs publics, les règlementations provoquent des réactions mitigées. Censée incarner un bouleversement de la fin de vie des matériaux de construction, la REP, ou Responsabilité Elargie du Producteur, va donner un élan fort au recyclage de ceux-ci, puisque la récupération de ces matériaux sera gratuite. Elle a été accueillie avec une certaine inquiétude par l’écosystème du réemploi, car la récupération de ces matériaux pour les réemployer est loin d’être gratuite, les acteurs seront donc en concurrence directe avec les filières de recyclage.
Néanmoins la RE2020, ou Règlementation Environnementale 2020, avantage fortement les matériaux issus du réemploi. En effet, ceux-ci sont comptés comme neutres dans les grilles d’évaluation de l’impact environnemental des matériaux. Ils vont devenir, lors de la mise en application de cette règlementation, des verdisseurs de bilan carbone, bon gré mal gré. La législation ne se positionne pour l’instant pas ouvertement pour le réemploi, même si, par certains aspects, elle l’encourage. Il est essentiel pour le secteur que la législation continue d’évoluer dans ce sens.
Enfin un obstacle important à la massification du réemploi est l’absence d’évolution marquante des règles professionnelles et la difficulté d’assurer ces matériaux. Les matières inertes sont facilement assurables, mais pour les autres matériaux, il est parfois difficile de trouver du soutien. Il faut cependant noter que l’histoire va dans le sens du réemploi, et que les assureurs ont de moins en moins de mal à faire confiance au réemploi. Il y a eu une forte évolution dans ce sens les dernières années, et tout porte à croire que cette logique va s’accélérer, poussée, entre autres, par l’entrée en application de la RE2020.
Une émission animée par Fabrice Cousté